14 octobre 2016 - Fabienne Radi
En visite

Episode 3

 

TOULOUSE CONTROL

 

Où l’on s’interroge sur la manie des jeux de mots, la mauvaise interprétation des paroles de Claude Nougaro, les sens possibles de titres d’événements artistiques et la difficulté de manger de la moussaka en courant. 

De mon immeuble à façade Art déco en briques jusqu’au bureau d’accueil du Printemps de Septembre, il y a environ trois cents mètres et une succession de cafés aux noms singuliers. On passe d’abord devant Le Bonheur est dans le pot (gluten free),  puis on longe successivement Pastis ô Maître (bar à étudiants) et  La Couleur de la Culotte (bar à cocktails), avant de couper vers Le Saint des Seins (café-concert, avec le deuxième S à l’envers). Pas très loin on trouve aussi La Voix Maltée (bar à bières), Le Poêle de la Bête (bar à tapas),  Les Curieux Gâteaux de Tata Bidule (tea-room), Le Cri de la Truffe (cuisine traditionnelle), Silex & Fourchette (alternative vegan). Lors de mes pérégrinations  j’ai noté aussi L’Ami du Pain (boulangerie) et  Le Café Olé (un classique qui se décline dans plusieurs villes).

 

Je me pose des questions depuis un moment sur cet engouement pour les jeux de mots et la recherche à tout prix d’appellations originales. Cela touche tous les corps de métiers, des journalistes de Libération transpirant sur les titres de leurs articles aux coiffeurs affublant leurs salons de noms qui déclinent tif ou hair à toutes les sauces (Infini-tif, Appollin’hair et autres Faudra Tif Hair).  On sourit de temps en temps mais on est de plus en plus fatigué. Il y a des blogs spécialisés et des artistes qui documentent ce phénomène, m’a-t-on dit.

 

Personnellement les jeux de mots me font rarement rire. Ou alors c’est un rire social où il s’agit d’exprimer son appartenance à un groupe, en signifiant que l’on a saisi une contrepèterie par exemple. C’est toujours compliqué ce genre de situations où l’on se sent obligé de rire d’une manière ou d’une autre par politesse, déférence ou juste pour ne pas attirer l’attention (ne pas rire quand tout le monde rit est aussi gênant que rire tout seul quand personne ne rit). Aux bons mots je préfère de loin les confusions, les malentendus et les problèmes de traductions. Tout ce qui est susceptible de faire vriller le sens de manière involontaire.


Longtemps j’ai gloussé sur la mauvaise traduction du titre de la pièce The Importance of Being Earnest d’Oscar Wilde. Le titre français officiel est L’importance d’être Constant mais j’ai lu un jour quelque part qu’un traducteur avait proposé De l’importance de s’appeler Ernest. Cette confusion m’a beaucoup fait rire jusqu’à ce que quelqu’un m’explique, des années plus tard, que ce n’était pas du tout idiot puisque toute la pièce tourne autour du prénom Ernest, d’ailleurs la traduction italienne avait  choisi cette option, L’importanza di essere Onesto.

 

Dans un autre registre, tout comme Edouard Levé je ne peux m’empêcher d’entendre Cher chasseur quand on me parle du film Deer Hunter, bien que je connaisse la bonne traduction Chasseur de cerf. Et lorsque je me rends en Grande Bretagne, j’ai de la peine à ne pas lire sale en français dans les vitrines des magasins.

 

Dernièrement une amie anglophone m’a demandé quel était mon programme pour la semaine suivante. Comme nous étions en train de sortir d’un café, je lui ai répondu rapidement Toulouse avant de m’engouffrer dans le tourniquet de la porte. Dehors elle m’a regardée avec des yeux ronds avant de dire : But… to lose what ? Lors de mon dernier séjour dans cette ville, j’ai repensé à cette anecdote en passant devant une immense affiche de Claude Nougaro qui couvre tout un immeuble à deux pas de la Garonne. Nougaro est penché en avant, le regard pénétré, la bouche ouverte, la main en éventail. Il est en train de chanter avec l’intensité qu’on lui connaît. J’ai imaginé la perplexité d’un Anglo-saxon entendant par hasard à la radio le chanteur répéter OH TO LOSE, TO LOSE !


Et les jeux de mots dans l’art contemporain alors ? Alors non. Du moins en ce qui concerne Le Printemps de Septembre. J’ai épluché le programme, répertorié les titres de tous les événements, lu scrupuleusement les introductions, les remerciements, les informations pratiques, les notices, les textes de médiations et tous les papiers qu’on m’a tendus ici ou là : pas de jeux de mots malins ou crétins en vue, ou alors je ne les ai pas détectés. Aucun cousin éloigné des ecchymoses des esquimaux aux mots exquis ou des moustiques domestiques demi-stock pour la cure d’azote sur la Côte d’Azur chers à Rrose Sélavy.

 

Les titres des événements du Printemps peuvent suggérer une dimension burlesque (Problem in Toulouse / Magical Mystery Trip), être programmatique (Briller et Disparaître / La Mort de la Marionnette), explorer une veine poético-lyrique (Le Nom d’une Ile / The Garden of Whispers / La Peau et les Mots / La Route de l’infini, Résonances : second mouvement / The Blood is Less Impressive on Green), rester dans une sobriété descriptive (The Curves / the Corners and the Machines / Oui Non / Tableau sonore),  emprunter au discours scientifique  ou pédagogique (Théorie des Tables / Diplôme de visiteur), s’en remettre à des figures de l’histoire (Tesla), se déguiser en commentaire (Superbe Spectacle de l’Amour / Gigantesque !), jouer sur la répétition (Les Fils d’Ariane de la ville Ariane / Bleu Bleu), miser sur la longueur (Numéro deux : Ce n’est pas parce que je me tiens là que cela veut dire que j’en ai envie), préférer la compression (OK/KO), ou encore tabler sur l’énigmatique pour un effet teaser (Tout sauf le trottoir sombre / Once again, I fall into my feminine ways / Je l’offre à Lafayette). Parmi toute cette liste de titres, il y en a un qui ne pouvait qu’attirer mon attention, celui de la vidéo de Samir Ramdani : Super Spectacle de l’amour. D’autant plus qu’il était spécifié juste en dessous dans le programme : film de science-fiction horrifique et sensuel.

 

Superbe spectacle de l’Amour. Il y a du Pierre La Police dans ce titre, époque Nos meilleurs amis et l’acte interdit. Mais on peut aussi songer à des choses très différentes comme Enorme changement de dernière minute  (titre épatant d’un recueil de nouvelles épatantes de Grace Paley), ou encore à Extrêmement fort et incroyablement près (roman de Jonathan Safran Foers) et même à Merveilleuse Angélique (la Marquise des Anges). Bref à des titres qui utilisent des adjectifs superlatifs de manière ironique ou lyrique ou les deux en même temps.

 

Lors de la visite marathon pour l’inauguration du Festival, notre petit groupe a traversé en car une banlieue pavillonnaire avant de se retrouver dans un centre d’art attenant à un centre de transcription et d’édition en braille. C’est là qu’on présentait le film horrifique et sensuel. L’équipe technique et les acteurs étaient également présents. Tout ce petit monde provenant d’horizons très différents s’est entassé, debout, accroupi ou assis comme il pouvait les fesses sur du béton durant la projection. J’ai regardé le film de biais, à plus de 45 degrés, avec une voisine qui n’arrêtait pas de soupirer et de se mettre les deux mains devant le visage à chaque scène où il y avait du sang. Autant dire qu’elle a vu surtout ses mains et pas beaucoup le film.

Capture d’écran du film de Samir Ramdani


Après la projection, comme tout le monde était en hypoglycémie (du moins ceux qui avaient voyagé en car et avaient déjà quelques visites dans les jambes), il y a eu une ruée sur le buffet qui, à mon avis, était surtout destiné à l’équipe du film, des jeunes gens qu’on avait vu deux minutes plus tôt en zombies hagards dégoulinant de sang et qui là se resservaient une portion de houmous et un verre de rosé. Quelques minutes plus tard je courais dangereusement avec deux tranches de pain emprisonnant de la moussaka dans les rues du quartier de Bonnefoy pour ne pas perdre le groupe qui avait décidé de rentrer directement en métro.

 

Ce que j’ai réussi à apercevoir de Superbe spectacle de l’Amour était très déconcertant et je me réjouis vraiment de le revoir dans de meilleures conditions. Tout ce que je peux dire, c’est qu’à première vue j’étais déçue en bien comme on dit en Suisse.

 

A SUIVRE