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12.05 -- 28.05.1995
L'édition 1995 du Printemps de Cahors apporte trois innovations par rapport aux années précédentes. Tout d'abord, la présence d'un thème qui fédère une partie des expositions, mais aussi des projections nocturnes ; l'apparition d'une programmation vidéo, sous la forme d'une exposition et d'interventions en plusieurs endroits de la ville ; enfin, la commande à un artiste d'une grande installation. Ces trois innovations sont liées par un souci commun, celui de rendre hommage, à notre manière, au cinéma dont on célèbre cette année, selon la formule consacrée, "le premier siècle". On sait en effet quels liens étroits unissent cinéma et photographie, et tout particulièrement les formes contemporaines de création photographique. Il était donc important pour nous de saisir cette occasion pour les examiner plus en détails, loin de toute célébration convenue et facile.
Dans le programme des expositions, on trouvera bien une référence explicite au cinéma ("un cinéma imaginaire..."). Mais c'est pour évoquer les influences indirectes et les affinités qui se tissent entre imaginaire et technique cinématographique et certains artistes contemporains. Sinon, il sera question d'artistes qui parfois utilisent la projection cinématographique (Wyn Geleynse), ou bien y font référence dans leur iconographie (Joachim Schmid) ; ou bien encore des cinéastes-photographes, comme Johan van der Keuken, qui explorent un temps et un espace intermédiaires. À moins qu'il ne s'agisse de la forme d'image qui de plus en plus supplante le cinéma (ou à travers laquelle le cinéma continue d'exister, selon le point de vue que l'on adopte), c'est-à-dire la télévision (à laquelle fait indirectement référence Paul Graham) ; ou, dans sa version artistique, la vidéo.
Mais le programme des expositions ne se limite pas à cette thématique (qui est d'ailleurs plus un prétexte qu'autre chose, pour montrer des types de travaux que nous aimons). Il y a aussi, comme les autres années, des monographies d'artistes de divers pays : Valérie Belin et Sophie Calle pour la France ; Salvatore Puglia pour l'Italie ; Knut Maron et Joachim Schmid pour l'Allemagne ; Paul Graham pour la Grande-Bretagne ; Denis Farley et Wyn Geleynse pour le Canada. La plupart de ceux-ci exposeront des travaux inédits ou récents, quand il ne s'agira pas de leur première exposition personnelle en France (Wyn Geleynse, Joachim Schmid).
Un des aspects importants du programme d'expositions cette année est la place faite aux collections, publiques ou privées. Nous avions déjà, il y a deux ans, exploré une partie d'une collection particulière (celle de Bernard Lamarche-Vadel). Nous renouvelons l'expérience avec la collection de Madeleine Millot-Durrenberger, qui présente un aspect très différent de l'expérience photographique. Deux expositions sont consacrées à des collections publiques : celles du Fonds national d'art contemporain pour "un cinéma imaginaire..." déjà évoqué ; et celle de la collection Polaroïd de la Maison européenne de la photographie. Nous croyons en effet beaucoup à l'importance de ces explorations périodiques et menées à l'extérieur de collections qu'il est impossible d'appréhender dans leur ensemble, et qui ne prennent vie que grâce à de tels parcours à travers elles.
La mise en place expérimentale d'un programme vidéo a été confiée cette année à Stéphane Moidson. On y verra un ensemble de programmes et d'installations en salle et en extérieur, en majorité d'artistes maintenant reconnus dans ce domaine, et qui témoigne de la maturité artistique à laquelle est arrivé ce médium. Sans doute sera-t-il de plus en plus nécessaire de l'associer (comme d'ailleurs l'installation) à une programmation photographique, car les formes d'images, aujourd'hui s'interpénètrent sans cesse, se croisant, se métissant, se répondant jusqu'au point où la distinction entre les différents médias perd une grande partie de son sens. Ce sont d'ailleurs, les artistes eux-mêmes qui nous y incitent, par leurs pratiques multiples, et parfois même leur relative indifférence à l'outil utilisé.
De ce point de vue, l'installation de Yann Kersalé est très caractéristique. Y. Kersalé ne produit pas d'images, son matériau est la lumière, c'est-à-dire ce qui transporte les images et l'énergie et les rend possible. Qu'il ait choisi de "convoquer" dans le Cloître, lieu de méditation et de recueillement, l'ensemble des programmes de télévision susceptibles de parvenir en ce lieu par satellite, tout en brouillant la réception et en la réduisant à une tonalité lumineuse, en dit long sur la place complexe qu'occupe la télévision dans l'imaginaire collectif. Lieu supposé de l'actuel, dans son déroulement le plus direct, elle apparaît en fait comme une lueur et une machine fantasmagoriques, site de l'iréel le plus grand.
Les projections seront elles aussi liées étroitement au cinéma. Par leur contenu d'images, tout d'abord, puisque l'on y verra des photos de tournage, des photogrammes, des portraits, etc. Mais aussi par leur travail spécifique sur l'éclairage et le cadrage propres au cinéma. Car le cinéma c'est un ensemble de sensations, de rituels, de manières de faire l'ombre ou la lumière, tout un "dispositif" à la fois matériel, sensoriel et mental. Et pas seulement des histoires et des stars...
Comme l'an passé, nous invitons une galerie d'art et un éditeur à être parmi nous, car nous pensons que l'un et l'autre sont des acteurs essentiels de la scène artistique. L'Espace d'Art Yvonamor Palix présentera quelques-uns des artistes que cette jeune galerie défend, dans un esprit assez proche de celui qui anime Le Printemps de Cahors. Quant à l'éditeur, nous avons demandé aux Éditions Marval de revenir cette année pour présenter l'ensemble du groupement d'éditeurs européens auquel cette maison est associée. Ceux sont ainsi six éditeurs dont les ouvrages seront présentés (dewi Lewis Publishing, Grande-Bretagne ; Éditions Gunter Braus, Allemagne ; Fragment Uitgeri, Hollande ; Lunwerg Editores, Espagne ;Marval, France ; Peliti Associati, Italie) Avec également un choix très large de livres et de catalogues consacrés aux artistes qui figurent cette année dans la manifestation, offrant ainsi aux spectateurs la possibilité de se documenter d'une manière très complète.
Enfin, nous poursuivons notre programmation de vidéos et de films de photographes, avec l'ambition d'offrir, à terme, un véritable panorama (y compris dans sa dimension historique) de cet aspect de l'oeuvre de nombreux artistes.
Comme on le voit, il s'agit d'un programme dense, mais soucieux malgré tout de rester à l'échelle de la ville et surtout à celle des capacités de réception du spectateur. Un programme qui innove sur plusieurs plans, tout en restant dans l'esprit des années précédentes.
Régis Durand
Directeur artistique et commissaire des expositions